On a demandé à Marie-Christelle d'expérimenter pour nous une nouvelle MDMA. Et de chroniquer sur le dernier film de Jon Hurwitz et Hayden Schlossberg, American Pie 4. Le problème, c'est qu'elle a fait les deux en même temps...
Sous le potache, les lettres... American Pie 4 est truffé de références aux grands poètes des temps modernes.
Hugo, Verlaine et Stiffler
American
Pie 4, de Jon Hurwitz, Hayden Schlossberg
2012.
Avec Jason Biggs, Alyson Hannigan
Américain,
114 minutes
Ados
du monde entier, fuyez ! Les héros ont grandi, le public visé
avec... Place à la littérature !
Cinéphiles
de la dernière averse, passez votre chemin ! Cartésiens,
rationnels, du balai, ce film n'est pas pour vous.
La
voilà, la surprise de 2012 : American Pie 4 s'adresse aux poètes.
Symbole : la conclusion de cette saga délurée vise les spectateurs
avertis. Les intellos. Les littéraires. Les érudits.
Quelle surprise de voir Hurwitz et Schlossberg tenter ce pari-là ! Eux qui ont tant pâti des critiques (acides, sévères parfois, comme les nôtres) de leurs précédentes productions nous adressent le pied-de-nez ultime : oser nous amener sur le dangereux terrain des références littéraires. Car c'est bien de poésie dont il s'agit : American Pie 4 est pétri de littérature, truffé d'hommages subtils à l'oeuvre des grands auteurs français des XVIIIe et XIXe siècles...
Voltaire, ce coquin
A
tout seigneur, tout honneur. Le film ouvre sur une séquence qui
annonce le ton : La parade grand-guignolesque de Stiffler permet
d'attirer une amante potentielle dans sa chambre pour ce qu'il
convient d'appeler, au choix, une étreinte émue ou une intense
partie de baise... Vulgarité, me direz-vous ? Voltaire ! vous
répondrai-je ! Vu et revu ? Non ! Hommage à l'oeuvre de ce
fantastique libérateur de pensée et philosophe du plaisir. L'oeuvre
en question s'intitule « Polissonnerie », et pas besoin de longue
étude pour repérer l'inspiration qu'en ont tiré les auteurs : «
Je cherche un petit bois touffu, / Que vous portez, Aminthe, / Qui
couvre, s’il n’est pas tondu / Un gentil labyrinthe. / Tous les
mois, on voit quelques fleurs / Colorer le rivage ; / Laissez-moi
verser quelques pleurs / Dans ce joli bocage. »
Alors oui, la rhétorique employée dans le film n'est pas celle, fine, subtile et scandaleuse, qu'a pu tenir la Lumière en 1730, mais les indices hurlent... Stiffler : « Je vais foncer droit dans ta culotte, et si t'as pas tes règles, on se lance dans les polissonneries ! » Outre l'utilisation du titre du poème qui défraya la chronique, le parallèle des deux tirades pourrait surprendre... s'il n'était pas le premier d'une longue série...
Familiarité, immoralité, jubilation
Exemples
marquants, Monte sur moi de Verlaine (Lait suprême, divin phosphore
/ Sentant bon la fleur d’amandier, / Où vient l’âpre soif
mendier, / La soif de toi qui me dévore), métaphorisé ici par une
séquence subtile, où Vicky confond un verre de lait d'amande avec
la semence de son grand père sénile, pourtant ravi de la
plaisanterie.
Les
enfants d'Hugo dans Melancholia, dont «pas un seul ne rit», sont
retrouvés lors du splendide final du film où, dans un mauvais goût
assumé par les auteurs, la progéniture de nos héros (anti-héros
?) est priée d'apporter les sextoys à leurs aïeux pendant qu'ils
partousent ! «Ô servitude infâme imposée à l'enfant ! ...»
Et la série continuera, n'altérant en rien le plaisant rythme de la réalisation. Le coup de maître du film est de parvenir, sous une telle familiarité langagière, et sous une pareille immoralité des mœurs présentées, à glisser un nombre vertigineux de références littéraires. Le spectateur prendra un cours. American Pie 4 est un chef-d'oeuvre de complexité.
Marie-Christelle Théodorisée